La minute coPro, c’est le nouveau format d’interview d’Amoa qui donne la parole aux acteurs de la rénovation énergétique en copropriété. Cette minute Copro va traiter du confort d’été en rénovation énergétique.
La genèse de ce format, c’est d’abord un constat pragmatique: pour rénover de manière globale les 500 000 immeubles annoncés par le gouvernement dans le cadre des objectifs de neutralité carbone, il faut travailler de manière collective.
Depuis plusieurs années déjà, des syndic, bureaux d’études, architectes, institutionnels, financiers, conseil syndicaux, professionnels du bâtiment se sont engagés dans cette voie. Le but de notre minute coPro, c’est de leur donner la parole pour qu’ils nous partagent leurs retours d’expérience et leur vision.
Aujourd’hui, nous donnons la parole à Victor Bordenave d’Alter Watt, un bureau d’étude spécialisé dans l’énergie dont les spécialités sont la réalisation d’audit énergétique, le financement et l’exécution de travaux de rénovation énergétique.
Le thème que nous avons choisi d’aborder est celui du confort d’été qui permet d’aborder à la fois les sujets de la rénovation globale, des méthodes de calcul et des habitudes de consommation.
I/ Présentation du bureau d'études Alter Watt
Bonjour Victor et merci de vous être rendu disponible. Pouvez-vous nous présenter Alter Watt et ses activités ?
Victor Bordenave: Alter Watt est une entreprise qui agit sur l’ensemble du processus de la rénovation énergétique. Nous sommes organisés en trois pôles : un pôle bureau d’études, un pôle travaux et un pôle financement. Ce sont des pôles indépendants mais qui travaillent aussi ensemble sur de nombreux sujets.
En ce qui me concerne, je suis ingénieur en efficacité énergétique au sein du bureau d’études et spécialisé sur le sujet des copropriétés.
Historiquement, notre bureau d’études est spécialisé dans l’audit énergétique tertiaire mais de nombreuses autres missions sont venues s’ajouter, notamment de l’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) pour accompagner nos clients dans la réalisation des travaux préconisés par l’audit ou des études de faisabilité (photovoltaïque, solaire thermique, géothermie, bois énergie, etc.). Nous avons aussi une branche smart building qui est dédiée à l’étude de la régulation du bâtiment.
On voit notamment que beaucoup de vos clients sont des écoles, des universités et des bureaux et que la copropriété est un sujet nouveau pour vous.. En quoi donc ces écoles, universités et bureaux diffèrent de la copropriété?

Victor Bordenave: Il y a de nombreuses différences, mais on peut aussi noter qu’il y a des similitudes dans ces bâtiments. Ce sont des bâtiments qui se ressemblent en termes de taille puisque ce sont généralement des bâtiments de plusieurs milliers de mètres carrés qui ont des systèmes constructifs similaires. Par exemple, dans le cas de chauffage centralisé en copropriété, les chaufferies seront similaires à celles des bâtiments tertiaires.
En fait, c’est surtout sur la partie usage et sur la partie réglementaire qu’il va y avoir des différences. Dans le tertiaire, on a deux grands textes : le décret tertiaire et le décret BACS, alors que dans le résidentiel collectif, c’est la loi Climat et Résilience, avec notamment les obligations de disposer d’un projet de plans pluriannuels de travaux (PPPT) et de réaliser un DPE collectif.
II/ Explication du calcul de la performance énergétique en copropriété
Aujourd'hui la préoccupation au niveau de la rénovation énergétique se concentre de plus en plus sur l'étiquette DPE, conséquence de la Loi Climat et Résilience.
Ce DPE utilise une méthode de calcul particulière qui est beaucoup contestée. Avant de parler de confort d'été, j'aimerais que l'on aborde cette question ensemble. Pourriez-vous me dire quelques mots sur les méthodes de calculs et celles que vous utilisez pour évaluer les performances énergétiques?
Victor Bordenave: Oui bien sûr. On peut distinguer les méthodes de calcul selon deux critères. Il y a d’abord le caractère statique ou dynamique de la simulation thermique. Ce caractère statique ou dynamique va déterminer avec quelle complexité on essaie de représenter la température intérieure du bâtiment.
Une simulation dynamique va prendre en compte plusieurs facteurs pour déterminer une température intérieure réaliste, alors que dans une simulation statique, la température intérieure va être estimée plus simplement.
Vient ensuite la partie personnalisation des scénarios. Il existe des méthodes de calcul de la consommation énergétique qui sont réglementaires, comme la méthode 3CL (Calcul de Consommations Conventionnelles des Logements) en DPE qui nous intéresse particulièrement dans le sujet de la copropriété, où c’est un scénario d’usages type qui est appliqué à tous les bâtiments, alors qu’on peut aussi avoir des scénarios beaucoup plus personnalisés qui nous permettent d’avoir un rendu plus réel des consommations d’un bâtiment. Bien que ne permettant pas une analyse “sur mesure” de chaque logement – ce qui serait par ailleurs trop chronophage – la méthode 3CL donne une bonne idée globale du niveau de consommation énergétique et d’émissions de CO2 en se basant sur une estimation d’usage standardisée du logement.
Dans de nombreux cas, sur des bâtiments qui sont assez standardisés, des méthodes statiques suffisent pour bien rendre compte de l’état du bâtiment et permettre de déclencher les bons travaux qui vont vraiment être efficaces.
La simulation thermique dynamique (STD) avec scénario personnalisé que l’on propose régulièrement nous pour le tertiaire sera donc plus fine et plus représentative du bâtiment étudié mais demandera davantage de travail. En bref, elle coûtera plus cher.

Quelle méthode de calcul vous plaît le plus et pourquoi ?
Victor Bordenave: Cela va dépendre du contexte dans lequel on l’utilise. La méthode statique et réglementaire est nécessaire afin de pouvoir comparer les bâtiments entre eux à grande échelle. Elle est indispensable pour pouvoir toucher les aides et les subventions.
C’est pourquoi la 3CL est désormais généralisée à l’ensemble des DPE et des audits réglementaires et incitatifs des logements individuels et collectifs. C’est la grande avancée qui est entrée en vigueur le 1er octobre et qui va se déployer pendant tout le premier semestre 2024. Dans bien des cas, elle va être pertinente.
En revanche, si on veut analyser le comportement thermique d’un bâtiment atypique, la STD est un vrai plus. De même pour l’étude du confort d’été. Pour rappel, la STD est la seule méthode de calcul qui permet de rendre compte des dérives potentielles de la température intérieure.
Il est par ailleurs possible d’affiner ce calcul par pièce afin de cibler les actions de rénovation énergétique en faveur du confort d’été sur les parties de bâtiment qui en ont vraiment besoin.
Le 3CL 2021 permet d’ouvrir à MaPrime Renov, mais pas aux CEE qui demandent avec le Coup de pouce « Rénovation performante de bâtiment résidentiel collectif » la méthode de calcul Th-CE, plus complète.
Tout n’étant pas harmonisé concernant le cahier des charges à respecter pour l’accès aux aides, il faut absolument que les deux méthodes (3CL et Th-CE) soient utilisées, ainsi que la méthode STD (Simulation Thermique Dynamique) qui permet de prévoir l’impact du projet de rénovation sur la consommation énergétique du bâtiment.
III/ Le double défi du confort d'été et d'hiver en rénovation énergétique des copropriétés
Les canicules estivales récurrentes de ces dernières années ont fait prendre conscience à tous de l’importance du confort d’été.
À Paris par exemple, il sera bientôt impossible de vivre sous les toits l’été si rien n’est fait. On estime à environ 50 000 les logements dans Paris qui deviendraient inhabitables.
Bon nombre de bâtiments, notamment dans les zones plus défavorisées, deviendront des "bouilloires thermiques".
Le froid reste un problème (il fait moins de 0 aujourd'hui partout en France), le chaud en devient un, il faut résoudre les deux.
Rendre un bâtiment confortable pour les températures d'été, est ce que ce n'est pas un peu contradictoire avec le fait de le rendre confortable en hiver?
Victor Bordenave:
En effet, la conciliation du confort d’été et du confort d’hiver en rénovation énergétique est clairement un défi dont on parle très peu car elle ajoute de la complexité à un sujet que l’on a encore du mal à vraiment maîtriser. Les besoins en matière de climatisation et de chauffage peuvent être contradictoires.
Cependant, il est possible de trouver des solutions qui optimisent le confort tout au long de l’année. Une planification soigneuse, des technologies avancées et le choix judicieux de matériaux peuvent aider à minimiser les contradictions entre le confort d’été et le confort d’hiver.
Dans certains cas par exemple, on va mettre en place des casquettes solaires qui coupent le rayonnement en été mais le laissent passer en hiver parce que l’angle des rayons du soleil est différent durant les deux saisons.
Dans ce cas-là, on agit à la fois pour le confort d’hiver et le confort d’été. On sait aussi qu’une isolation thermique par l’extérieur avec une bonne inertie thermique permettra d’être protégé en hiver, tout en résistant à la chaleur en été grâce à cette inertie. Il est donc crucial de choisir des matériaux isolants appropriés qui offrent une performance thermique équilibrée.

Pour les fenêtres, il y a un juste milieu à trouver entre des fenêtres qui transmettent suffisamment l’énergie du soleil en hiver pour profiter de ses apports et qui réfléchissent suffisamment cette énergie en été pour éviter la surchauffe.
Des fenêtres à double vitrage avec des revêtements appropriés peuvent aider à réduire la perte de chaleur en hiver et à bloquer une partie du rayonnement solaire en été.
La prise en compte du confort d’été en rénovation énergétique a-t-elle un impact important sur vos recommandations de travaux ? Les techniques d’isolation sont-elles les mêmes pour garder la fraîcheur et la chaleur à l’intérieur d’un bâtiment ?
Victor Bordenave: La prise en compte du confort d’été augmente fortement, notamment dans le sud de la France. C’est en train de devenir un sujet prioritaire !
En terme d’isolation, pour le confort d’hiver, on veut que les éléments de l’isolation aient une bonne résistance thermique alors qu’en été, c’est surtout l’inertie thermique de ces matériaux qui va importer.
La résistance thermique conserve le froid au dehors tandis que l’inertie va permettre de freiner l’avancée de chaleur vers l’intérieur. Plus l’inertie est bonne et plus la chaleur mettra du temps à traverser l’isolant jusqu’au soir où les températures diminuent.
Pour résumer, la stratégie en hiver est le calfeutrement, c’est-à-dire se couper du froid afin de moins consommer et réduire sa facture d’énergie.
En été, le but est d’entraver efficacement la propagation de la chaleur, notamment grâce à certains matériaux biosourcés comme la laine de bois qui est particulièrement efficace dans ce cas. On cherchera aussi à occulter le rayonnement direct du soleil, avec notamment les volets roulants, brises-soleil, casquettes et films solaires.
Il existe aussi des stratégies de ventilation nocturne pour contrer la chaleur. C’est ce qu’on appelle le free-cooling. S’il y a un système de ventilation mécanique dans l’immeuble, on peut mettre en place du free-cooling pour le rafraîchir avec l’air frais de la nuit d’été.
En fait, pour beaucoup de postes de rénovation, confort d’été et confort d’hiver ne sont pas contradictoires. Il faut simplement concevoir les travaux en prenant en compte ces deux éléments. Le plus souvent, sans doute pour aller vite et répondre au seul objectif d’améliorer l’étiquette DPE, le confort d’été n’est pas pris en compte.
Mais que ce soit pour améliorer le confort d’été ou d’hiver, la copropriété va pourvoir mettre en place dans tous les cas: une isolation thermique (des murs, des toitures, des planchers) avec des matériaux adaptés, un remplacement des menuiseries extérieures avec des revêtements adaptés, un système de ventilation et des équipements de régulation intégrant la préoccupante de l’évacuation ou du contrôle de la chaleur… C’est donc tout à fait possible !

On peut imaginer qu’à l’instar des pays du sud de l’Europe, il y aura en France une massification de l’utilisation des climatiseurs.
Vous posez-vous en alternative à cette option, où bien cherchez vous plutôt à faire en sorte que leur utilisation soit minimale et efficace (comme avec les radiateurs pour le confort d’hiver) ?
Victor Bordenave: Sujet polémique et presque politique ! Il est certain que la hausse des températures va entraîner une augmentation du nombre de climatiseurs, ce qui est effectivement contradictoire avec la volonté de réduire notre consommation d’énergie.
Nous invitons toutes les personnes de bonne volonté et qui en ont les moyens à utiliser des isolants à forte inertie, les brise soleil, films solaires, verres à contrôle solaire, la ventilation nocturne dont le free cooling et autres, avant d’arriver à cette solution qui va être très consommatrice d’énergie.
Toutefois, dans certains cas, la climatisation ne pourra pas être évitée, il faudra donc chercher à faire en sorte qu’une utilisation minimale suffise.
Il existe également un système très intéressant, la pompe à chaleur géothermique réversible, qui permet en hiver de chauffer le bâtiment avec les calories présentent dans le sol et ainsi refroidir ce dernier; et en été de refroidir le bâtiment avec la chaleur stockée dans le sol durant l’hiver.
Ce système est particulièrement efficace sur le long terme car la chaleur et la fraîcheur sont tour à tour stockées dans le sol pour la saison suivante.
Aujourd’hui, combien représente la dépense énergétique des bâtiments en été par rapport à l’hiver ?
Victor Bordenave: En France la consommation en été est bien plus faible que la consommation en hiver, notamment car très peu de logements sont climatisés. Mais la dépense énergétique en été ne va faire qu’augmenter.
Toutefois, on peut quand même voir que la dépense énergétique restera toujours plus importante en hiver. Par exemple, on peut comparer un air extérieur à 0 degré avec un chauffage aux alentours de 20 degrés. On voit qu’il faut alors chauffer le bâtiment avec un delta de température de 20 degrés; En été, l’air extérieur sera plutôt en moyenne de 35 degrés qu’on voudra baisser à 25, il y aura 10 degrés de delta, soit deux fois moins d’efforts à réaliser pour atteindre la température souhaitée.
Cela pourrait s’inverser à moyen-long terme en fonction de la hausse des températures.
De quelle manière le calcul du confort d’été impacte-t-il l’étiquette énergétique ? S’il ne l’impacte pas, comment selon-vous faudrait-il pallier ce manquement ?

Victor Bordenave: Aujourd’hui, le DPE présente un indicateur de confort d’été, mais il n’est pas directement pris en compte dans l’étiquette énergétique.
Par ailleurs, cet indicateur ne prend pas en compte les systèmes de refroidissement actif, comme les climatiseurs.
Seule l’enveloppe du bâtiment est prise en compte. Cela signifie que si le bâtiment est climatisé mais qu’il est extrêmement déperditif, le DPE affichera un indicateur d’un mauvais confort d’été. Et l’étiquette DPE est bien impactée par la consommation de la climatisation pour tout bâtiment climatisé dont la chaleur dépasse 26°C en été.
Cela montre que les pouvoirs publics sont dans une logique de sobriété énergétique : ils poussent à bien isoler l’enveloppe de son bâtiment pour améliorer sa note de confort d’été et son étiquette DPE. Il me semble qu’il est question à l’avenir d’intégrer directement le confort d’été dans le calcul de l’étiquette DPE.
Selon vous, le réchauffement climatique fera-t-il du confort d’été la principale problématique en termes de rénovation énergétique ?
Victor Bordenave: C’est un sujet qui va gagner en importance au fur et à mesure que les températures d’été vont être de moins en moins supportables.
Je pense que c’est vraiment intéressant pour les copropriétaires aujourd’hui de se projeter et d’anticiper cette hausse des températures dans leurs projets de rénovation énergétique.
Sur les bâtiments qui ne sont pas isolés ou pour des personnes qui vivent aux étages supérieurs en particulier, les actions de rénovation énergétique aujourd’hui doivent être suffisamment ambitieuses pour prendre en compte ce besoin de confort d’été à venir, et pas seulement le besoin présent de confort en hiver.
Nous encourageons les copropriétaires et les syndics de copropriété à être exigeants auprès des professionnels sur le sujet du confort d’été. Il faut mettre le sujet sur la table et attendre des réponses concrètes de la part des professionnels avec qui ils vont travailler.
Georges de Durfort: Merci Victor pour cet échange, pour ma part j’ai appris beaucoup de choses.
Je m’adresse maintenant aux éventuels lecteurs professionnel: si vous souhaitez prendre la parole pour un projet spécifique lors d’une prochaine minute (co)Pro contactez nous directement à l’adresse : aime@amoa.me !
Merci et à bientôt !
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Georges de Durfort
09 janvier 2024